L’échec de l’Espagne en Guinée Equatoriale
JOAQUÍN MBOMIO BACHEN. GENÈVE
C’est échec est d’autant plus patent, compte tenu de la nature des relations, pour le moins complexes, que la France voisine entretient encore avec ses anciens territoires africains. C’est ainsi qu’au lendemain de son élection présidentielle, le chef d’Etat français, Nicolas Sarkozy, a effectué un premier voyage d’Etat au cœur de l’Afrique, se rendant dans les principales capitales dites françafricaines, Libreville et Dakar, notamment, auprès du président gabonais, Abert-Bernard-EL Haj-Omar Bongo Odimba, et de son homologue, le jeune vieux ou le vieux jeune, Abdoulaye Wade.
Le nouveau Napoléon, en bon petit César, est allé livrer le message splennel de la France éternelle à ses ouailles des territoires de l’outremer : l’attachement de la France à l’Afrique. Côté espagnole, une telle démarche serait tout simplement impensable. Alors que la Guinée Equatoriale, seul Etat hispanophone de l’Afrique, aurait pu servir de tremplin économique pour les intérêts espagnols dans ce continent. Les relations tumultueuses entre l’Espagne et la Guinée Equatoriale ont été scellées dès l’avènement à l’indépendance du nouveau pays africain. La Guinée Equatoriale et l’Espagne n’ont jamais fait route ensemble. Beaucoup de facteurs, antinomiques, séparent ces deux pays unis par l’iniquité de l’histoire coloniale.
En 1968, lors de l’indépendance de l’ex colonie espagnole, le régime franquiste, totalitaire et monolithique, accouche, étrangement, d’une jeune démocratie en Afrique centrale, alors que la métropole, elle-même, baigne dans le sang d’une dictature féroce imposée par El Caudillo, le général Franco. En 1975, alors que la Guinée Equatoriale s’enfonce à son tour dans les abîmes de la barbarie répressive, l’Espagne, au contraire, voit éclore sur son sol les fleurs de la liberté. Entre Madrid et Malabo c’est une historie de destins croisés.
Le drame de l’indépendance
Sous la loupe d’un historien, force est de constater que la victoire de Macias Nguema à l’élection présidentielle, ainsi que l’indépendance de la Guinée Equatoriale, le 12 octobre 1968, ont été deux événements placés sous le double signe de l’affrontement et de l’équivoque. Affrontement à Madrid, au sommet de l’Etat espagnol, entre le Premier ministre, l’amiral Luìs Carrero Blanco, et son ministre des Affaires étrangères, Castiella, chacun des hiérarches franquistes ayant soutenu son propre candidat aux élections présidentielles guinéo-équatoriennes. Situation équivoque à Malabo, provoquée par l’alliance contre nature, au deuxième tour, entre Atanasio Ndongo Miyono, le politicien brillant, et Francisco Macias Nguema, le populiste enragé. Après leur victoire aux présidentielles, le premier est devenu un ministre des Affaires étrangères charismatique, et le second est enfin parvenu à la magistrature suprême de la jeune République. Les faits démontreront par la suite que c’était une cohabitation à couteaux tirés. Craignant pour sa vie, et dans une tentative d’apaiser le climat de frustration suscitée par son échec aux élections, le candidat malheureux, Bonifacio Ondo Edu, ancien protégé du président gabonais Léon Mba, tente de s’exiler en Espagne en passant par le Gabon. À Libreville, il est arrêté par les services secrets français, omniprésents dans la cité gabonaise, et remis aux autorités guinéo-équatoriennes avec la complicité des Espagnols. Ondo Edu était le candidat soutenu par Carrero Blanco, alors que Castiella, lui, préférait le duo Macias-Ndongo Miyono. L’arrestation d’Ondo Edu, premier vrai cadeau de la France à Macias, quelques semaines seulement après l’indépendance, mit la population en émoi, d’autant plus qu’il avait été, quatre ans durant, président du premier gouvernement, autonome et autochtone, qui venait de conduire le pays vers l’indépendance. Par ses mérites Il fut décoré, la veille de l’indépendance, par la Gran Cruz de Isabel la Catòlica, l’une des plus grandes distinctions espagnoles de l’époque. De lors tout s’emballe. Dès le mois de novembre, à peine deux mois après l’indépendance, plusieurs incidents éclatèrent, mettant souvent aux prises, des éléments incontrôlés de la « Juventud en Marcha con Macias » (jeunes supporteurs de Macias) et le reste de la population, le plus souvent des colons espagnols et les partisans d’Ondo Edu.
De leur côté, les fonctionnaires espagnoles, anciens maîtres de l’administration coloniale, cédés malicieusement à Macias par Madrid, commencent leur travail de sape, multipliant les obstacles au nouveau pouvoir. En janvier 1969, des rumeurs de la mort d’Ondo Edu, à la prison de Black Beach, provoquent un courant de panique au sein de la population et la tension augmente d’un cran. Cette situation indisposa l’Espagne qui était encore présente économiquement, mais aussi militairement, avec deux compagnies motorisées de la Garde Civile et un régiment d’infanterie de la marine basé sur un destroyer garde-côte, « Pizarro ».
Cette force de frappe, contrôlant parfaitement tous les points stratégiques du pays, fut placée sous l’autorité de l’ambassadeur d’Espagne à Malabo, Juan Duran Loriga, un ancien fonctionnaire de l’administration coloniale, qui, suivant ses réflexes d’antan, mis le contingent espagnole en état d’alerte. En réponse, Macias décréta le couvre-feu dans tout le pays et galvanisa la population par des discours musclés, transmis par la Radio Ecuatorial Bata, concentrant ses tirs contre « le colonialisme espagnol et son représentant en Guinée Equatoriale », l’ambassadeur Duran Loriga.Il est vite expulsé de la Guinée Equatoriale, remplacé par un autre fonctionnaire franquiste, Pan de Soraluce, aussi myope, politiquement, que son prédécesseur. À Madrid règne la confusion dans l’auberge espagnole, entre El Caudillo, Franco, qui envoie un communiqué apaisant à l’ONU, son ministre de la Défense, José Lacalle Larrama, qui mobilise les troupes basées aux îles Canaries pour une intervention en Guinée Equatoriale, et son chef de la diplomatie, Castiella qui déconseille l’opération militaire des Canaries.
Décidément l’Espagne est gouvernée par ce temps-là par un Gallego (un Gallicien). C’est dans ce contexte d’imbroglio latinobantou, d’épreuve de force, d’affrontement diplomatique et gesticulation médiatique, entre le nouveau chef d’Etat guinéo-équatorien et les autorités espagnoles, que Ndongo Miyono, ministre des Affaires étrangères de Macias, tente son coup, un coup d’Etat, le soir du 4 mars 1969, croyant pouvoir entraîner l’armée espagnole dans son aventure. La veille, Pan de Soraluce, le nouveau représentant espagnol, l’a fortement embrassé à l’aéroport de Malabo devant un public médusé. Or Madrid, paralysé au sommet de l’Etat, par des fortes divergences au sein de l’exécutif, neutralisa ses troupes en Guinée Equatoriale. Ndongo Miyono fut tué après son échec.
Macias au pouvoir
Après l’élimination de Ndongo Miyono à la prison de Bata, précédée de l’assassinat d’Ondo Edu à Malabo, Macias Nguema, libéré des ses deux puissants rivaux, poussa plus loin son avantage, avec l’expulsion, en mars 1969, de l’ambassadeur espagnol et de sa troupe, entraînant dans leur sillage quelques 7000 sur les 8000 coloniaux qui résidaient dans l’ex colonie. Après le retrait des Espagnols, Macias coupa les ponts avec Madrid et s’engagea résolument dans une politique d’ouverture et de souveraineté totale, nouant de nouvelles alliances avec des pays sans passé colonial. Il fait alors appel à la coopération internationale (il n’aime pas du tout l’aide). La première moitié des années 70 sera marquée par une série de conventions et accords de développement avec les principales organisations internationales et les agences onusiennes (OUA, l’Organisation de l’Unité Africaine et l’UNESCO notamment), mais surtout avec les pays du camp progressiste, Cuba, Chine populaire, Corée du Nord, Egypte, Ethiopie, Guinée Conakry, Union Soviétique, etc. Sur le plan financier, Macias impose la réappropiation de l’outil économique, par une nationalisation de biens de production (Bienes Abandonados) laissés par les Espagnols.
Pour se donner une marge, il procéda à l’émission de la peseta nationale à la place de la monnaie espagnole. Quelques mois avant l’indépendance, les principaux acteurs économiques espagnoles avaient procédé à une évasion fiscale sans précédent, opérant un transfert massif d’argent vers la métropole, plus de 2.000 millions de pesetas furent ainsi virés à Madrid, selon certaines sources(1).
À l’époque, le budget annuel de la Guinée Equatoriale est de 1.138 millions de pesetas, c’est dire l’ampleur de l’évasion. La peseta guinéo-equatorienne avait la même valeur que la peseta espagnole(1 Euro=160 Ptas.), quelques mois suffirent pour mettre le pays dans une courbe d’inflation astronomique, suivi d’un déficit record. Aux abois, Macias corrigea le tir en 1976, par l’émission de l’Ekuele, une monnaie non convertible qui permettait à l’Etat de limiter la fuite de capitaux et de contrôler, politiquement, les nouveaux riches arrivés sur le marché de l’indépendance. La France, alors principal pays occidental travaillant avec les dictatures africaines, fit un prêt à Macias, estimé à 45 millions de dollars, qui permirent au gouvernement guinéo-équatorienne d’engager les grands travaux, afin de marquer le pays de son empreinte.
Deux banques ultramodernes furent construites, l’une à Bata l’autre à Malabo ; un réseaux hôtelier fut mis en place par la construction de deux résidences de luxe, l’hôtel Ureka à Malabo et l’hôtel Panafrica à Bata. Un port international fut construit sur le confluent du fleuve Ekuku, à Bata, pour doubler les exportations de bois. Ce produit naturel était devenu le principal article d’exportation, après la chute brutale de la production cacaohière. Pendant la période coloniale le cacao était le produit phare de l’économie du pays, après le départ des propriétaires espagnoles, suivi du retrait des ouvriers nigérians, cette production sera progressivement réduit comme peau de chagrin à un niveau folklorique, de 40.000 tonnes annuelles dans les années 60 à environ 8.000 tonnes actuellement. Sous Macias le pays connait aussi un programme de construction d’écoles d’enseignement secondaire et logements sociaux pour fonctionnaires.
En 1973, le premier choc pétrolier surprend les autorités guinéo-équatoriennes, Macias organisa un régime de rationnement, pour que le produits de première nécessité restent accessible à toute la population. Des magasins d’Etat (Factorìa Estatal) furent ouverts dans toutes les villes offrant des articles venant de la Chine populaire à bas prix. En même temps, deux sociétés françaises, Alsthom et Chantiers de Bretagne, furent sollicitées pour la construction d’un centre de stockages d’hydrocarbures, un projet cofinancé par la Commission Européenne.
Une coopération réinventée
Dans la décennie 70, après le rapatriement des compagnies forestières espagnoles qui opéraient en Guinée Equatoriale, une société française fut autorisée à exploiter les meilleures zones de la bande continentale. Elle se faisait appeler Sociedad Forestal de Rio Muni et avait son siège à Genève. Par sa localisation, cette firme fut aussi chargée d’effectuer des opérations financières, pour le compte de Malabo, sur le marché international. C’était le mode opératoire de Macias, pour garder son autonomie financière et afficher son indépendance. Le choix de ses partenaires était aussi très ciblés, allant de pays au comportement cynique, mais efficaces en affaires, à l’image de la France, jusqu’aux pays à l’idéologie marquée, mais économiquement bon marché, telle la Chine populaire. Ainsi l’Empire de Milieu s’est vu attribuer le marché de plusieurs secteurs clés dans la Guinée de Macias : constructions et travaux publics, télécommunication, santé, agroalimentaires, entre autres.
La coopération cubaine fournissait aussi une forte contribution dans des domaines variés : instruction militaire, bois et forêt, éducation, santé et bourses d’études. Si la coopération avec les pays progressistes se présentait sous des bonnes hospices, il en allait différemment avec les pays occidentaux, à part la France. Dès le début, après le retrait espagnole de 1969, la communauté internationale proposa son concours à la Guinée Equatoriale, moyennant l’assistance technique des agences spécialisées de l’ONU, par le financement du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement). Or, la nature particulièrement brutale du régime de Macias et son goût du sang, heurtaient profondément la sensibilité des fonctionnaires internationaux, en particulier les experts des Nations Unies, très soucieux du respect des droits de l’homme. La nature du régime de Macias, fondée sur l’arbitraire, ne permettait pas l’aboutissement d’un projet de coopération dans de bonnes conditions .
De 1970 à 1974, Macias expulsa plus de dix hauts fonctionnaires internationaux, en faisant avorter, à chaque fois, un projet de développement utile pour l’avenir du pays. Ceci contribua beaucoup à l’étouffement de la population et à l’isolement de son régime. C’était aussi son calcule, pour mieux régner en autarcie, dans un pays soumis à un embargo permanent, imposé de fait à toute une population tombée en agonie.
Le coût de la dictature
Les onze ans de Macias au pouvoir, de 12 octobre 1968 au 3 août 1979, représentent l’une des périodes le plus sombre de l’histoire récente de la Guinée Equatoriale. Une période marquée d’une rare violence, au point que la population en vienne à regretter le temps de fouets des Espagnoles. Après le coup d’Etat avorté de Ndongo Miyono, en mars 1969, Macias, s’appuyant sur une milice politique (Milicia Popular) et d’une armée à sa solde, dirigée par son propre neveu, alors lieutenant-colonel et vice-ministre de la défense nationale, Teodoro Obiang Nguema, véritable bras droit du dictateur, exerça un régime de terreur sans précédent. Tout ce qui est espagnol, ou qui se rapporte aux valeurs de l’ancienne métropole est banni. Les intellectuels, les artistes, les hommes de culture et les religieux sont considérés d’office comme les ennemies du pouvoir.
Les professeurs, les prêtres, les maîtres d’écoles, les fonctionnaires, les commerçants, les artisans, sont des catégories de la population particulièrement visées par la violente répression qui sévit le pays. Le culte de la personnalité, la vénération de Macias et sa famille, sont institutionnalisés dans un pays en proie à un régime de plus en plus paranoïaque. Le nouveau credo guinéo-équatorguinéen est la déification de Macias. L’attaque frontale contre l’Espagne, le dénigrement de ses institutions, deviennent la norme dans toutes les manifestations massives.
La haine manifeste de Macias à l’égard de l’ancienne métropole est telle qu’elle commence à susciter, au sein de la population, l’effet inverse souhaité par le grand héros national. En 1975, l’échec de Macias est patent, tout le monde en convient, aussi bien ses propres partisans que le reste de la population, mais personne ne sait comment s’en débarrasser du Gran Lìder de Acero (Macias avait les mêmes titres que Staline). De lors la Guinée entre dans une lente période de déliquescence, accentuée de temps en temps par des purges sanglantes de personnalités soupçonnées de trahison au père fondateur de la patrie.
On estime à un quart de la population guinéo-équatorienne, les personnes victimes, tuées ou emprisonnées, pendant les onze années de Macias au pouvoir. Pendant ce temps, le pays aura enregistré un recul historique dans tous les compartiments de l’activité humaine.
Près de 100.000 personnes, sur un total de 400.000, ont pris le chemin de l’exil, se réfugiant notamment au Gabon, en Espagne et au Cameroun. Le régime de Macias a décimé l’élite de dirigeants qui, pendant la lutte pour l’indépendance, s’était préparée pour conduire le pays vers le progrès.
Sur les 46 délégués qui avaient participé à la Conférence Constitutionnelle de Madrid en 1967, il en aura seulement 10 survivants en 1979 ! Trois des quatre leaders indépendantistes, candidats à la première et unique élection présidentielle libre qui a connu le pays dans son histoire, Bonifacio Ondo Edu, Atanasio Ndongo Miyono et Edmundo Bosio Dioco, ont été assassinés.
Le survivant, Macias Nguema, sera, à son tour exécuté par son ancien bras droit, devenu le nouvel homme fort du pays, par un coup d’Etat. Tel est le bilan dramatique de Macias au pouvoir.
Obiang au pouvoir
Homme de basse œuvres de Macias Nguema pendant onze ans, acteur de premier plan d’un régime de sinistre mémoire, responsable de grands crimes d’Etat perpétrés en Guinée Equatoriale (l’assassinat des ministres Alfonso Jesus Oyono Alogo, Buenaventura Ocha Nvé, le père José Esono, le lieuteunant Maximiliano, le professeur Mambo Matala, pour ne citer que ceux-là), Obiang Nguema s’empare du pouvoir le 3 août 1979. Sa présidence n’est pas, loin s’en faut, l’aboutissement d’un processus politique, ou électorale, semblable à celui qui porta Macias au pouvoir onze ans plutôt. Non, son avènement est le résultat d’un coup de force lors d’un règlement de compte familial.
Dans le district de Mongomo, où Macias s’était retiré les derniers années au pouvoir, plusieurs affrontement auront lieu et plusieurs personnes sont assassinées pendant le putsch. Le neveu fait exécuter son oncle et, pour légitimer son coup de force, il invoque le devoir de « redressement national » (reconstrucciòn nacional).
Après l’exécution de Macias, Obiang Nguema, dans les mois suivants, se débarrasse aussi, progressivement, de principaux chefs militaires qui l’ont aidé à prendre le pouvoir : Oyo Riquesa, Ela Nseng, Mayé Ela, Mba Nchama, Motu Memia, ce dernier sera assassiné par Obiang en 1993 dans le foyer militaire marocain Rabat de Malabo. Avec les coudées franches, Obiang entame sa longue épopée du pouvoir solitaire. Il démontre son savoir faire au sommet de l’Etat.
Sorti de l’ombre de Macias, l’ancien numéro deux monte au premier plan et surprend plus d’un. C’est une bête politique, un génie du pouvoir, qui a tout appris de Macias, un élève qui a surclassé son maître, aussi bien dans l’art de réprimer que dans la manière de tuer. C’est ce qui explique sa longévité au pouvoir, mais aussi sa montée en puissance sur la scène internationale, l’or noir aidant. Parvenu à la présidence, en 1979, il a besoin du temps pour faire illusion. Face au jeune monarque espagnol, Juan Carlos I, il y parvient parfaitement. Il a tout hérité de Macias : les faux semblants, le cynisme, la médiocrité morale, la manipulation, le manque de pudeur, la brutalité, qualités de base pour un règne qui s’affirme.
Certains de ces qualités sont aussi recensés aujourd’hui dans le répertoire du nouveau champion français, Nicolas Sarkozy, un ancien numéro 2 également passé numéro 1, un hussard qui entame son sultanat sabre en l’air. Ainsi Obiang, pour avoir le soutien occidental, amorce un virage idéologique à 180 degrés.
La Guinée Equatoriale, qu’on se le dise, n’est plus révolutionnaire mais, au contraire, conservatrice, catholique, apostolique et romaine, bref, espagnole ! Le nouveau roi d’Espagne, de la lignée de Bourbons, tombe dans le panneau. Héritier d’une couronne franquiste, Juan Carlos veut aussi asseoir sa légitimité.
À Madrid, le retour de l’ex colonie guinéo-équatorienne dans le giron espagno vaut bien une messe. Le nouveau monarque s’offre cette liturgie, en 1979, en allant lui-même avec sa femme en pèlerinage à Malabo à la rencontre du nouveau « sauveur » africain, Obiang Nguema.
Placé en orbite, par le royaume de l’Espagne, Obiang, l’extraterrestre, fait la paix avec Bongo, l’extravagant chef d’Etat gabonais qui, auparavant, entretenait une guérilla frontalière avec Macias, pour contrer l’impact politique de son discours antinéocolonialiste. Un patriotisme africain qui faisait plutôt désordre dans un pays, bon enfant, où tout le monde célébrait allégrement et incessamment l’amitié franco-gabonaise. Ayant séduit le portier gabonais, Giscard et Mitterrand, en centre ville, tombent à leur tour sous les charmes du neveu de Macias.
En bon hispanophone, Obiang déteste le français, et en bon équato(2), il a une folle envie de tordre le cou à Bongo au Gabon, mais son cynisme d’Etat le porte à faire tout le contraire. La Guinée Equatoriale, par un tour de passe passe, entre dans la zone du Franc Cfa, d’abord, et dans la Francophonie, ensuite. Cela tombe bien, 70 pour cent des guinéo-équatoriens de retour d’éxil parlent français. Fin 1980, Obiang a droit à une somptueuse réception à Paris d’un Giscard en déclin, dont le gouvernement, noblesse oblige, octroie 9 millions de Francs français à Malabo. C’est le début d’une longue histoire de coopération made in France. Paris arrive en force à Malabo, la filiale africaine de l’UTA achète LAGE (Lignes Aériennes de la Guinée Equatoriale), en 1984, Total achète, à un prix dérisoire , la société d’Etat de distribution des hydrocarbures, moyennant une ligne de crédit de fonds de la France pour le développement de la Guinée Equatoriale ! Obiang sourit, car en même temps l’Espagne est fortement sollicitée. En réalité, Obiang joue sur les antagonismes existants entre Madrid et Paris. Pour la France il s’agit de contrer la montée en puissance des Fangs qui ont toujours combattu les forces coloniales.
Cette ethnie, sous ses diverses appellations, joue un rôle de premier plan au Cameroun, elle est maître de la Guinée Equatoriale, numérique au Gabon, présente au Congo et en Centrafrique. Les Fangs sont les principaux opposants au régime profrançais de Bongo à Libreville.
Pour l’Espagne, il s’agit de reconquérir son ancienne colonie, la Guinée Equatoriale, et se rapprocher de ses riches voisins de l’Afrique centrale, Cameroun, Gabon, Congo Brazzaville et Angola notamment.
Le retour de l’Espagne
Le retour de l’Espagne dans son ancienne colonie de la Guinée Equatoriale fut l’action diplomatique la plus spectaculaire réalisée par Madrid dans la décennie 80, hors des frontières européennes. Cette action prend un air de « Reconquista » (Reconquête), d’autant plus que Madrid avait souffert de son départ brutal de l’Afrique en 1969.
Le retrait de l’ancienne puissance coloniale, décrété par le nouveau chef d’Etat souverain, avait lourdement été ressenti en Espagne comme une vilaine humiliation. Au plan politique, l’expulsion des Espagnols et l’évacuation de la Garde Civile vers la métropole avait constitué une victoire de premier plan pour Macias qui, tout en affirmant son pouvoir à l’intérieur du pays, faisait une entrée remarquable sur la scène internationale, donnant l’image d’un chef d’Etat indépendant, complètement affranchi de la tutelle coloniale. Une réalité fort différente dans nombre d’anciennes colonies française en Afrique. En signe de représailles, l’Espagne observa un embargo absolu sur la Guinée Equatoriale. Un boycott d’autant plus efficace que le dispositif de communication de Malabo avec le monde extérieur passait par Madrid.
Sur le plan régional, l’ancien territoire espagnol était cerclé des pays francophones (Cameroun, Gabon) et anglophone (le puissant Nigeria), se heurtant à une formidable barrière linguistique et culturel.
Cet isolement de fait permit à Macias d’instaurer son règne de l’arbitraire, et de massacrer de centaines de cadres guinéo-équatoriens dans l’impunité la plus totale, sans dénonciation aucune dans les instances internationales. Ce n’est qu’en 1976 que le linceul du silence fut levé par des groupes d’opposants, victimes de la dictature, en dénonçant, pour la première fois, le drame du peuple de la Guinée Equatoriale au sein de la Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies à Genève.
En 1979, après la chute du dictateur, Madrid croit entendre son heure sonner à Malabo. L’élimination de Macias est interprétée par les Espagnols comme la vengeance d’un affront. Les médias espagnols, culturellement franquistes, ne tarissent pas d’éloges pour le jeune officier, tombeur de Macias, qui fait valoir son passage à l’académie militaire de Saragosse. C’est un bon élève. Sur ce constat, tambour battant Madrid déclenche un programme de coopération, sans commune mesure avec l’aide accordée jusqu’alors aux autres pays hispanophones. Pour bien marquer l’importance prioritaire que l’Espagne accorde désormais à son ex colonie retrouvée de l’Afrique, dès le mois de décembre 1979, le roi d’Espagne, Juan Carlos I, accompagné de sa femme, la Reine Sofia, effectue un voyage officiel en Guinée Equatoriale. Sous la pression des autorités espagnoles, les dirigeants guinéo-équatoriens décrètent, dans la nouvelle constitution (La Carta Magna de Akonibe) la double identité culturelle, africaine et hispanique, de la Guinée Equatoriale. Il s’agit, sur le plan idéologique, de proscrire l’orientation politique qui inspirait le régime précédent, violemment antiespagnole.
Pour cet aggiornamento on fait appel à des personnalités pro espagnoles, des intellectuels de haut niveau, originaires de la Guinée Equatoriale exilés en Espagne. Des esprits éclairés qui, sans être portés particulièrement pour le débat politique, n’en constituent pas moins un atout pour le nouveau régime de coopération hispano-guinéoéquatorienne. Ils sont des bons relais culturels, chargés de prolonger sur leur terre natale le message ibérique venu de Castille. Ce groupe de choc, parachuté à Malabo, est constitué de figures de premier plan, certaines de renom international, à l’image du sculpteur Leandro Mbomio Nsue, ancien directeur du musé d’art à Barcelone. Iil sera, des années durant, ministre de la culture à Malabo.
Il y a aussi, dans ce contingent, des personnalités indépendantes, telles le journaliste écrivain, Donato Ndongo Bidjogo, , l’écrivain Balboa Boneke, la poètesse Trinidad Morgales et, surtout, le professeur Constantino Ocha’a Nvé. Le travail accompli par ces intellectuels néo-hispaniques sera immense et de grande qualité, notamment dans la récupération et formulation des nouvelles valeurs afro-bantou dans le cadre de l’hispanité.
Ocha’a Nve publie « Semblanzas de Hispanidad » un ouvrage dans lequel il pose la problématique identitaire guinéo-équatorienne. Le point d’orgue de cet processus culturel sera la célébration à Bata, en 1984, du 1er Congrès Hispano-Africain, qui consacre la Guinée Equatoriale comme centre de rencontre privilégié, point d’ancrage de la culture africaine, européenne et américaine. C’est la naissance de la fameuse théorie chère à Leandro Mbomio, l’Afrohibéroaméricanisme.
Ainsi, fidèle à sa psychologie de l’absolu, l’Espagne ne lésine pas sur les moyens pour afficher ses ambitions dans le cadre de la coopération avec son ancienne colonie. En 1983, Madrid proclame déjà avoir investi plus de 13.500 millions de pesetasen Guinée Equatoriale, pour le financement de différents projets de coopération. Dans cette perspectives, deux projets culturels voient le jour, pour le rayonnement de la culture hispanique au cœur du continent noir, la revue culturelle Africa 2000 et la Radio Africa Dos Mil.
Si la première, sous la direction de l’écrivain Donato Ndongo Bidjogo, un travail de qualité avec des articles de bonne facture, la radio, elle, sous la direction d’une équipe de coopérants espagnole, se contente de diffuser etde reproduire des émissions destinées, en principe, pour un public espagnol.
Au fil des ans, la coopération espagnole, malgré son aspect flamboyant se révèle inefficace, techniquement mal définie, politiquement mal orientée et financièrement trop détournée. Les crédits sortent de Madrid et rentrent en Espagne. En outre l’aide espagnole ne va pas sans corruption, ni gabegie. Madrid n’a jamais appris à coopérer en Afrique. La politique de développement se confond, au mieux, avec une mission paternaliste d’évangélisation, au pire, avec une expédition de rocolonisation.
Oubliant que les guinéo-équatoriens sont indépendants depuis plus d’une décennie. Ce dernier aspect signera l’échec de Madrid à Malabo, dans un pays dont les dirigeants, à commencer par le nouveau chef d’Etat, ont été tous formés à l’école « nationaliste » de Macias.
Un dictateur à l’aise
Maître de son destin et de celui de ses compatriotes, Obiang assure son gouvernorat non sans habilité. Son nouveau credo pro occidental n’est qu’un ravalement de façade, juste pour satisfaire les exigences minimales de ses nouveaux partenaires occidentaux, les Etats Unis, la France et l’Espagne notamment.
Sur le fond, le régime de Malabo reste le même qu’au temps de Macias : totalitaire, rigide, inhumain, opaque et arbitraire. Il négocie in fine la décennie 90, décennie de processus de démocratisation en Afrique noire. Son pouvoir sort renforcé de cette épreuve qu’il désigne, non sans humour, « Ensayo democràtico » (Essais de démocratie). De 1990 à l’an 2000, Obiang s’est employé à fond, avec acharnement, pour mâter toute forme de contestation politique en Guinée Equatoriale, ayant toujours recours à des méthodes qui ont fait sa force et son succès quand il n’était qu’un simple exécutant de Macias : détentions, tortures et assassinats.
En bon dictateur africain, son bilan est plutôt flatteur : les principaux leaders de deux grands partis d’opposition, le PP (Partido del Progreso) et le FDR (Fuerza Demócrata Republicana) sont emprisonnés, d’autres contraints de fuir le pays, même certains sont victimes d’attentats, de tentative d’assassinat, à Madrid ! Les deux principaux rivaux d’Obiant, qui étaitent en mesure de le battre dans une confrontation électorale libre, Severo Moto Nsa et Andres Moinses Mba Ada, ont été neutralisés.
Mba Ada est mort dans la solitude en exil à Madrid, et Moto Nsa est victime des pratiques franquistes répressives, de la part d’une administration espagnole avide de profiter de la manne pétrolière qui coule dans les mains du chef d’Etat guinéo-équatorien. Entretemps, Obiang est devenu un magnat du pétrole, il s’offre même le luxe d’inviter ses propres rejetons à la curée.
Les guinéo-équatoriennes se sont habitués aux faits et gestes de son fils aîné Teodorin Nguema Obiang, ministre de l’agriculture, eaux et forêts, et ont découvert Gabriel Mbega Obiang Lima, vice ministre d’industrie, mines et énergie. Le chef de l’Etat guinéo-équatorien a le sens de l’équité, son premier fils ministre est de sa première femme et le second de sa deuxième épouse. Cet équilibre conjugal est tout aussi appliqué sur le plan international avec la même rigueur ; malgré l’option proccidentale de Malabo, les liens avec les anciens pays du bloque communiste restent de mise, voire renforcés. C’est le cas avec la Chine populaire, Cuba et Corée du Nord.
Très prudent, Obiang s’acquitte de l’obole que tout nouveau riche doit disperser autour de soi, pour assurer la pérennité de sa prospérité. Les montants varient suivant le degré de dangerosité, et la force de nuisance des uns et autres. Ainsi l’argent du pétrole guinéo-équatorien s’envole vers diverses destinations : Gabon, Congo, Angola, Zimbawe, Afrique du Sud etc. Mais trois puissances se partagent la réalité des fonds pétrolières du pays : les Etats Unis, dont les sociétés exploitent les gisements, la France, puissance hégémonique de la zone dont les sociétés assurent la soutraitance logistique, et l’Espagne qui assure la couverture politique du régime. C’est Madrid qui a donné son feu vert à l’ONU à Genève, pour le retrait du dossier de la Guinée Equatoriale de la Commission des Droits de l’Homme en 2004.
La découverte du pétrole en Guinée Equatoriale a donné une nouvelle marge de manœuvre à l’homme fort de Malabo. Agacé par la contestation de séparatistes Bubis, Obiang en a profité pour supprimer une pratique politique héritée des Espagnoles, de nommer en la personne d’un insulaire, un Bubi, le poste de numéro 2 du régime, pour garder l’équilibre régional au sommet de l’Etat.
Dans son actuel gouvernement, Obiang, en guise de démonstration de force, a nommé un Fang comme lui, issu de la partie continentale, Premier ministre. Il s’agit de Ricardo Mangue Obama Nfube, originaire de la puissante région d’Ebebiyin, région frontalière avec le Cameroun.
La nomination de Ricardin, comme l’appellent ses proches, étoile montante du régime, rompu aux joutes de pouvoir, sonne comme un avertissement très sérieux adressé aussi bien aux Bubis qu’aux Espagnols. Ces-derniers ont toujours encouragé les différences ethniques au sein de l’Etat unitaire qu’eux-mêmes ont enfanté en Afrique. C’est surtout cela l’échec de l’Espagne en Guinée Equatoriale. Un échec historique qui prend aujourd’hui les contours tragiques et comiques d’une bande de chercheurs de bananes en association avec une dictature pétrolière.
Joaquin Mbomio Bacheng
Regards Africains
Genève
(1) Xavier Lacosta, España-Guinea, la estrategia de la tensiòn
(2) Terme méprisant par lequel les Gabonais désignent leurs voisins de la Guiné Equatoriale
Fuente: Regards Africains